L’illusion de la compétence : L’Effet Dunning-Kruger chez certains éducateurs canins

L’éducation canine est un domaine en constante évolution, enrichi par les avancées en éthologie et en psychologie de l’apprentissage. Cependant, une certaine résistance au changement persiste chez des professionnels qui s’accrochent aux méthodes traditionnelles et coercitives… Dans ce contexte, l’Effet Dunning-Kruger, un biais cognitif fascinant, peut jouer un rôle clé en expliquant pourquoi certains éducateurs, malgré des pratiques scientifiquement dépassées, maintiennent une confiance en soi excessive.

Décrit en 1999 par les psychologues David Dunning et Justin Kruger, l’Effet Dunning-Kruger est un biais cognitif qui se manifeste par une surestimation de ses propres compétences par les personnes les moins qualifiées dans un domaine donné.

Ce biais découle d’une difficulté métacognitive : pour être capable de juger correctement ses propres lacunes, il faut un certain niveau de compétence.

> Les personnes incompétentes n’ont pas les connaissances nécessaires pour reconnaître leur propre incompétence.

> Inversement, les personnes réellement compétentes peuvent avoir tendance à sous-estimer leurs capacités, pensant que ce qui est facile pour elles l’est aussi pour les autres.

  1. Le « Pic de la Stupidité » dans l’Éducation Canine

L’application de l’Effet Dunning-Kruger au domaine de l’éducation canine met en lumière un phénomène préoccupant, particulièrement chez les professionnels qui utilisent encore des outils ou des techniques basées sur la punition positive (ajout d’un stimulus désagréable) ou le renforcement négatif (retrait d’un stimulus désagréable), souvent enveloppées dans des concepts dépassés comme la « dominance » ou la « hiérarchie » :

Illusion de Maîtrise : Les méthodes coercitives peuvent produire des résultats visibles rapidement (par exemple, un chien qui arrête immédiatement un comportement sous l’effet de la peur ou de la douleur). Cette cessation rapide du comportement (même si elle ne résout pas la cause sous-jacente) peut être interprétée par l’éducateur comme une preuve d’efficacité et de maîtrise technique, alimentant ainsi son excès de confiance.

Méconnaissance des Conséquences : Un éducateur englué dans l’Effet Dunning-Kruger peut ignorer ou minimiser les conséquences néfastes de ses méthodes, telles que l’augmentation du stress, de l’anxiété, des comportements d’évitement ou, paradoxalement, l’agressivité du chien. Ne possédant pas les connaissances scientifiques actualisées sur le bien-être animal et l’apprentissage, il ne parvient pas à reconnaître les signes de mal-être qu’il provoque, ni à évaluer correctement l’inefficacité à long terme de sa démarche.

Rejet de la Science : Les professionnels prisonniers de ce biais peuvent rejeter l’abondante littérature scientifique qui soutient l’efficacité et l’éthique des méthodes basées sur le renforcement positif. Ces connaissances, qui leur permettraient de reconnaître leur incompétence relative, sont perçues comme une menace à leur expertise ou comme de la « faiblesse » dans l’approche éducative.

2. L’Impact sur la Profession et le Bien-être Canin

L’entêtement à utiliser des méthodes traditionnelles et coercitives, exacerbé par l’excès de confiance lié à l’Effet Dunning-Kruger, a des répercussions directes :

1. Préjudice au Chien : Les méthodes basées sur la peur et la douleur nuisent au bien-être physique et psychologique de l’animal et peuvent gravement endommager la relation de confiance avec son propriétaire.

2. Désinformation des Propriétaires : Les propriétaires, qui font confiance à l’éducateur, peuvent être induits en erreur, perpétuant des pratiques néfastes et se retrouvant avec un chien potentiellement plus anxieux ou réactif.

3. Frein à l’Évolution Professionnelle : Le biais cognitif rend difficile, voire impossible, la remise en question et l’auto-amélioration, bloquant la transition vers des pratiques éthiques et basées sur des preuves scientifiques.

En conclusion, l’Effet Dunning-Kruger constitue une barrière psychologique non négligeable qui entrave l’adoption des meilleures pratiques en éducation canine. Pour le progrès de la profession et le bien-être des chiens, il est crucial de promouvoir une culture de l’apprentissage continu et de l’humilité professionnelle, en se basant sur la méthode scientifique plutôt que sur l’illusion de la compétence.

  1. Les Signaux ignorés : Quand la correction masque le mal-être

L’un des dangers majeurs de l’Effet Dunning-Kruger chez certains éducateurs est leur incapacité à lire et à interpréter correctement le langage corporel canin, notamment les signaux de stress et d’apaisement. Ces signaux sont souvent mal compris ou activement ignorés, car ils pourraient remettre en question l’efficacité perçue de la méthode coercitive.

> Les Signaux d’Apaisement et de Stress

Les chiens utilisent une série de gestes pour communiquer leur malaise, leur stress ou pour tenter de désamorcer une situation potentiellement conflictuelle. L’éducateur traditionnel peut interpréter ces signes comme de l’entêtement ou de la défiance et les punir, aggravant l’anxiété du chien.

2. Le Risque de l’Anxiété Chronique

Lorsqu’un éducateur punit systématiquement ces signaux de stress, le chien apprend que communiquer son mal-être est dangereux. Il peut alors :

1. Cesser d’émettre des signaux d’avertissement : Le chien passe directement à l’agression (morsure) sans grogner, car le grognement a été puni. C’est l’un des effets secondaires les plus graves des méthodes coercitives.

2. Développer un stress chronique : L’exposition répétée à des situations aversives et imprévisibles dégrade la santé physique et mentale du chien (troubles digestifs, dermatologiques, hypervigilance).

En bref : L’incapacité à reconnaître ces signaux est une preuve objective d’incompétence en éthologie canine. L’éducateur qui s’appuie uniquement sur des « résultats » rapides obtenus par l’intimidation ne fait que masquer un problème de fond et compromettre le bien-être de l’animal.

Les éducateurs pris dans l’Effet Dunning-Kruger utilisent souvent un langage qui sonne comme de l’autorité, mais qui repose en réalité sur des mythes et une mauvaise compréhension de l’éthologie.

1. Les Mythes de la « Dominance » et de la « Fermeté »

Ces arguments puisent dans l’ancienne théorie (largement discréditée) de la hiérarchie basée sur des études de loups en captivité, mal appliquées aux chiens domestiques.

2. Le Dénigrement des Méthodes Positives

Pour justifier le maintien de leurs propres pratiques, ces éducateurs dénigrent souvent les approches basées sur la science.

3. La Justification de l’Outil Coercitif

L’utilisation d’outils comme le collier étrangleur ou le collier à pointes est souvent justifiée par une illusion de nécessité technique.

L’Effet Dunning-Kruger se manifeste non seulement par une surestimation de soi, mais aussi par une incapacité à mettre à jour ses connaissances et par le recours à des justifications simplistes pour des méthodes qui ne sont ni éthiques, ni scientifiquement fondées.

L’Effet Dunning-Kruger dans le milieu de l’éducation canine n’est pas qu’une simple anecdote psychologique ; il représente un obstacle majeur à l’évolution éthique de la profession et un risque direct pour le bien-être animal.

L’éducateur englué dans ce biais cognitif opère dans une bulle d’illusion de compétence. Il confond la cessation rapide et forcée d’un comportement (obtenue par l’intimidation ou la douleur) avec un apprentissage durable. Il ignore activement les signaux de stress du chien, interprétant le malaise comme de la désobéissance et justifiant l’usage de la contrainte par des mythes désuets sur la « dominance ».

Le véritable professionnalisme, à l’inverse, exige une humilité intellectuelle et une volonté d’apprentissage constant. Les éducateurs qui réussissent à s’extraire de l’emprise des méthodes traditionnelles et à adopter les approches basées sur le renforcement positif reconnaissent que l’efficacité ne doit jamais se faire au détriment de l’éthique.

Pour les propriétaires de chiens, la vigilance s’impose : le choix d’un professionnel doit s’orienter vers ceux qui peuvent justifier leurs méthodes par la science (l’éthologie et la psychologie de l’apprentissage), et dont les résultats se mesurent non pas à la soumission du chien, mais à son bien-être, son équilibre émotionnel et la qualité du lien qu’il entretient avec son humain.

C’est en remplaçant la rhétorique de la crainte par la pédagogie de la coopération que l’éducation canine pourra pleinement embrasser son rôle : celui d’un domaine visant l’harmonie entre deux espèces, respectueux de l’intelligence et de la sensibilité de l’animal.

  1. Ma première source = celle de mon expérience !

> Personnelle = car oui je connais les méthodes traditionnelles et les outils coercitifs pour en avoir fait l’usage avec mes propres chiens (à mon plus grand regret) en 2018-2019, 6 mois en Club Canin dirigé par un maître-chien ; quand je ne connaissais encore rien de l’éducation canine et des méthodes positives (très peu médiatisées à l’époque) et j’ai pu voir les dégâts causés sur mes chiens et moi-même (psychologiques et physiques) ainsi que sur tout les autres chiens présents dans les cours collectifs (totalement inhibés ou agressifs)… Heureusement j’ai eut assez de clairvoyance pour nous sortir de là, de ce milieu néfaste, et trouver d’autres solutions plus respectueuses du bien-être du chien et tenter de récupérer les dégâts … Ce qui m’a amené où je suis aujourd’hui après plusieurs années de remise en question, de formation continue et de nouvelles expériences personnelles et professionnelles dans l’éthique et le bien-être animal.

> Professionnelle = Depuis que je me suis installée en tant qu’éducatrice canine comportementaliste en janvier 2023, suite à l’obtention de mon BP Educateur canin en 2022, jusqu’à encore aujourd’hui… j’ai continué à être témoin des dégâts causés par les méthodes traditionnelles et outils coercitifs et les éducateurs canins sous l’effet Dunning-Kruger… à travers mes clients qui eux aussi malheureusement se sont fait berner et cherchent dorénavant la bonne voie malgré la frustration, la culpabilité, le manque de confiance et d’assurance qu’ils peuvent ressentir, ils ne baissent pas les bras, remontent leurs manches prêt à travailler avec bienveillance et éthique et c’est tout à leur honneur ! Je vois également des propriétaires de chien totalement perdus, passant d’une méthode à l’autre, n’arrivant pas à se résoudre à ouvrir totalement les yeux sur ce qui est bien ou mal … ceux-ci malheureusement n’avancent pas, stagnent ou même régressent dans la résolution de leurs problématiques avec leur chien…

2. Un peu de lecture :

  • Les signaux d’apaisement – Turid Rugaas
  • Les émotions des animaux – Marc Bekoff
  • Dominance, mythe ou réalité – Barry Eaton
  • et j’en ai encore tout une pile à lire…

3. Quelques articles et études :

  • Kruger, J., & Dunning, D. (1999). Unskilled and unaware of it: How difficulties in recognizing one’s own incompetence lead to inflated self-assessments. Journal of Personality and Social Psychology, 77(6), 1121–1134.
  • Herron, M. E., Shofer, F. S., & Reisner, I. R. (2009). Survey of the use and outcome of confrontational and non-confrontational training methods in client-owned dogs. Applied Animal Behaviour Science, 117(1-2), 47-54.
  • China, L., Mills, D. S., & Cooper, J. J. (2020). Efficacy of dog training with and without the use of electronic collars: a systematic review and meta-analysis. Veterinary Record, 187(4), 149–149.
  • Ziv, G. (2018). The effects of using aversive training methods in dogs—a review. Journal of Veterinary Behavior, 28, 50-60.
  • Bradshaw, J. W. S., Blackwell, E. J., & Casey, R. A. (2009). Dominance in domestic dogs: useful concept, or dangerous anachronism? Journal of Veterinary Behavior: Clinical Applications and Research, 4(3), 135-144.

En fin de compte, le changement appartient à celui qui tient la laisse. L’ignorance est une excuse jusqu’à ce que la connaissance soit offerte. L’avenir de l’éducation canine est positif, à condition que nous exigions l’expertise plutôt que l’illusion de la force.

Alors que choisissez-vous ?

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